La mémoire du futur: deux ou trois idées pour la culture du XXI siècle

1ère Rencontre Annuelle Culture-RTBF, Bruxelles, La Raffinerie, 28 Aout 2014

Pubblicato il 14/09/2014 / di / ateatro n. 151

Les métiers de la culture comme ceux de l’information et de la critique sont soumis à
de très fortes pressions et appelés à se transformer voire à s’adapter très rapidement.
Les technologies de la communication, les comportements changeants des publics,
l’élargissement du champ culturel, la mondialisation de l’information, le morcellement
des publics d’origines, de cultures et de confessions différentes, sont quelques éléments
qui remettent profondément et très rapidement en cause nos habitudes de travail. Notre
capacité à nous adapter à ces changements, à les anticiper même, nous permettra de
traverser cette époque si complexe qu’elle laisse chacun d’entre nous dans un grand
inconfort.
Face à ces questions qui taraudent autant les médias audiovisuels que le milieu culturel
et artistique, il nous a semblé que la réaction à privilégier était le partage de la réflexion,
la compréhension des contraintes mutuelles, l’information sur les projets nouveaux qui
sont en passe d’être mis en place et l’invention de nouvelles pistes d’action.
Cette première journée que nous avons la volonté de rendre annuelle, s’inscrira ainsi
sous le signe de la créativité loin de toute complainte. Elle devrait être le premier pas vers
une collaboration plus active entre partenaires qui collaborent, se respectent et peuvent
ainsi inventer des dispositifs nouveaux. La Fédération Wallonie-Bruxelles a cette chance
réelle d’être une entité de taille moyenne dont les différents protagonistes se connaissent,
partagent le terrain et peuvent aisément mettre en œuvre des projets innovants.
Cette première journée sera ainsi ce que chacun, journaliste, responsable de programme,
artiste, responsable d’institution, voudra bien en faire.
Nous faisons ainsi appel à l’écoute et à l’imagination de chacun des protagonistes de
cette première rencontre.

Jean-Paul Philippot (Administrateur général RTBF)

Serge Rangoni (Président Chambre patronale des Employeurs
permanents francophones de la Fédération Wallonie-Bruxelles)

Le programme de la journée.

Nous vivons une fracture, un moment de très forte transformation. Selon plusieurs observateurs, nous sommes les protagonistes (ou peut être les victimes) d’une troisième révolution, après celle de la diffusion de l’écriture et celle l’invention de la presse avec Gutenberg.
Pour trouver une orientation dans cet inédit univers 2.0, nous cherchons aujourd’hui avec difficulté d’inventer les instruments pour comprendre et interpréter les modifications de la mediasphère, et construire une nouvelle grammaire de la connaissance et de la communication.
Les habitudes de la perception (souvent inconscientes), et même notre identité, sont bouleversées par le nouveau hardware et le nouveau software qui colonisent notre vie quotidienne et notre imaginaire.
Je n’ai pas de solutions à offrir, je n’ai aucune recette magique. Je ne vais donc pas vous proposer de nouvelles idées. J’aimerais seulement essayer de faire un peu d’ordre dans les quelques idées qui circulent actuellement, peut être des banalités mais contre lesquelles ont peut réfléchir, discuter, s’enrager… À partir de là, c’est à vous d’imaginer des nouvelles situations, expériences, inventions.

Le déclin
On voit rapidement décliner le médias traditionnels. Les livres, les journaux, le cinéma et les DVD, le disques et les CD, la télévision, subissent une grave crise, au moins du point de vue des entreprises éditoriales dans ces différents domaines. Le public payant devient moins nombreux, les revenues baissent, les employés diminuent. Les programmes d’analyse et d’écriture automatisent le travail des journalistes. Quelqu’un prophétise la disparition des quotidiens et d’autres médias avant 2050.
L’emploi et la gestion du temps ont radicalement changé. Le courrier électronique, Facebook et Twitter, Youtube et Instagram, Amazon et iPad, Whatsapp et Tripadvisor occupent une partie croissante de la ressource pour nous la plus précieuse : le temps.

Je ne suis pas intéressée à la scène séparée de l’écran. On passe un très grande partie de notre journée devant un écran, que se soit un ordinateur, la télé, un film, et cela affecte notre vision du monde.
(Marianne Weems, cit. in Shannon Jackson, Social Works, p. 151)

Les habitudes des consommateurs changent, et aussi les modalités de consommations des œuvres d’art et en général des produits culturels. Quand on est branché, on fait (aussi) des activités culturelles : on lit (peut être un roman!!!), on regarde des images (on peut visiter un musée virtuel) ou des films, on écoute la musique (si on veut, on trouve plusieurs versions de la Tétralogie sur youtube). Mais ce sont des pratiques qui ont souvent un niveau d’attention « à basse intensité », qui ne portent aucun revenu aux créateurs et aux éditeurs des œuvres (mais qui enrichissent plutôt les grandes entreprises comme Google).

Les deux phases
Quand un nouveau média s’impose, on passe à travers deux moments.
Le nouveau médium n’aboli pas ses ancêtres : il les absorbe. Au début, le nouveau médium imite les vieux, et s’empare de leur contenu et de leurs formes. C’est la phase de l’imitation. En effet, le web (la toile) est un supermédium qui, grâce à la digitalisation, engloutit les médias plus anciens : mots, sons, images fixes et en mouvement…
Dans un deuxième moment, le nouveau médium trouve ses propres formes esthétiques, et sa modalité de communication. C’est la phase de l’invention.
Les vieux médias sont alors obligés à trouver une nouvelle identité : un procès de radicale redéfinition que le théâtre a déjà connu au temps de l’explosion du cinéma, avec Artaud et Grotowski.
La solution ? Valoriser la comprésence de l’acteur et du spectateur (le « hic et nunc », la « liveness »), augmenter l’intensité de l’expérience esthétique, accueillir un public de petits groupes d’individus qui « choisissent » tel spectacle (ou tel compagnie) et se forment un goût grâce à cet échange.

La guerre des médias
Quelles sont les caractéristiques du web 2.0, par rapport aux médias traditionnels ?
On peut identifier certains éléments, qui n’intéressent pas la totalité du phénomène et toutes ses manifestations, mais qui donnent une idée des tendances actuelles, ou mieux de l’utopie courante.
La communication passe de la modalité verticale, pédagogique, typique des livres, des journaux, de la radio et de la télévision, à une modalité horizontale, collaborative, paritaire. D’un coté, la transmission d’un savoir du haut en bas (ou l’imposition d’une idéologie, ou d’une vision du monde). De l’autre, l’échange d’expériences, un partage de points de vue, dans une dimension horizontale.

Rien n’est plus commun aux membres d’une communauté, en principe, qu’un mythe, ou un ensemble de mythes. Le mythe et la communauté se définissent au moins en partie – mais c’est peut-être en totalité – l’un par l’autre, et la réflexion sur la communauté appelait à être poursuivie du point de vue du mythe. (Jean-Luc Nancy)

Les grands contes, les narrations – le mythes et les cathédrales – qui pouvaient unifier un peuple (ou une classe sociale) laissent la place à une multitude de micro-narrations. Les savoirs s’organisent dans un archipel d’îlots qui ne communiquent pas entre eux : la communication virtuelle est soumise au mécanisme de l’homophilie, c’est à dire la tendance des individus à se regrouper avec d’autres individus qui ont les mêmes intérêts, passions ou idées. On a plus un publique, mais des publiques différents, diversifiés.
On parle à ce propos de « communautés participatives », dont les membres prennent la parole et dialoguent entre eux, et fabriquent en même temps une communication vers « l’extérieur ». Les communautés participatives ont déjà un rôle important dans les royaumes de la fan fiction et de la « fandom » en général, mais aussi de la politique (avec le Parti des Pirates dans l’Europe du Nord et le Movimento 5 Stelle de Beppe Grillo en Italie).
Les médias traditionnels parlent à un grand public (typiquement à la nation) : il doivent donc être des médias généralistes et national-populaires (pour citer Antonio Gramsci). Le supermédium global unifie les vieux médias. Les grande entreprises comme Google, Amazon ou Facebook agissent sur une échelle planétaire. Mais la toile produit une pluralité de publics différents, fragmentés, spécialisés (jusqu’au fanatisme…) : ce dispositif organise des niches de consommateurs, la cible idéale pour les modernes pratiques commerciales et publicitaires.

Le réel et le virtuel
Une vision assez naïve du fonctionnement des médias a comme fondement le contraste radical entre la réalité, c’est à dire notre vie quotidienne, le monde des objets et des corps, et le domaine fictif de la communication, de la connaissance, de l’art, de la mediasphère, l’empire des signes…
En réalité (voilà la réalité qui réapparait…) il est impossible de séparer les deux ordres. Le dialogue entre le matériel et l’immatériel est continu, le monde digital ne peut pas exister sans l’économie matérielle. On peut s’amuser à parcourir la frontière entre réel et imaginaire, à jouer sur la limite entre les deux : le théâtre dans le théâtre le fait depuis des siècles. Mais cette frontière sera toujours en mouvement, inquiète et insaisissable.
Notre identité est le fruit des interactions du sujet dans la sphère sociale, en tous ses aspects. Notre environnement, l’espace relationnel ou on mène notre existence, est un seul, unitaire. Impossible de tirer une ligne de séparation entre la vie réel et la vie virtuelle.
Les modernes techniques de vente agissent dans les deux domaines, à partir d’une synergie entre les deux niveaux : une campagne promotionnelle est efficace si elle parvient à faire interagir la communication sur les différents médias, en travaillant sur l’imaginaire pour avoir des effets sur le réel, et en travaillant sur le réel pour avoir des effets dans le virtuel. Aujourd’hui une communication efficace doit envahir tous le canaux, dans un procès de amplification réciproque.

L’état de la culture
L’ancienne mediasphère – c’est à dire la mediasphère à la fin du XX Siècle – était le fruit du travail d’une élite de producteurs de contenu (surtout textuels). Ces « intellectuels » avaient une culture en commun (le canon cher à Harold Bloom), un échelle de valeurs stable et presque indiscutable, et des compétences spécifiques et individuelles. Les « experts » avaient une compétence et une autorité reconnue, qui leur venait du pupitre du haut duquel ils prenaient la parole : une faculté universitaire, un journal ou une chaine d’audiovisuel. Au contraire, une culture « horizontale » et « open source » dans le style de Wikipedia souhaite la « mort de l’expert » et dans le domaine du temps libre n’aime pas les prescripteurs. La « vérité » de Google est le fruit statistique d’un sondage permanent filtré par un algorithme ultra-secret.
La culture « haute » pouvait parfois se revitaliser grâce à la force et aux inventions des cultures « alternatives » (les cultures populaires, les traditions des groupes marginaux (folk), les savoirs du travail, les cultures urbaines, les sub-cultures des jeunes), mais avait la cohérence du canon. C’était la culture officielle transmise par les écoles et les universités.
A partir du XIX Siècle, et surtout dans le XX Siècle, l’industrie culturelle a construit des produits culturels très efficaces (et rentables, pour les éditeurs mais aussi pour les créateurs, grâce au droit d’auteur). D’un coté les éditeurs ont adapté les chefs d’oeuvre de la tradition « haute » pour les médias de masse : l’exemple plus célèbre sont peut être les adaptation des textes de Shakespeare par la BBC, avec leur valeur pédagogique : « chefs-d’oeuvre pour les masses ».
De l’autre coté, l’industrie culturelle – a partir des différentes subcultures – a été capable d’inventer une moderne culture populaire, ou mieux une culture « pop » très efficace (la « pulp fiction », la science fiction, les bandes dessinées, et les subcultures urbaines du rock et du hip hop). Les échanges entre les différents domaines de la culture ont produit plusieurs œuvres très intéressantes, parfois destinées à rentrer dans le canon. La culture « haute » a souvent ennobli des genres populaires : les fables des Frères Grimm, le jazz, le roman noir (qui est maintenant très chic dans les lises des best sellers du monde entier), et même le cinéma, et peut être aujourd’hui les séries pour la télévision made in USA.

La démocratisation de la culture
Selon le statistiques, seulement une minorité des citoyens européens utilisent les opportunités de expérience culturelle « haute » : bibliothèques, théâtres, concerts et opéra, musées… Pour la grande majorité, le monde de la culture est une ambiance fermé, autoréferentiel, élitiste, avec des rituels souvent irritants (ou ennuyeux). Les lieus aussi n’invitent pas à se rapprocher à ce monde. Franchir le seuil vers ces sanctuaires, surtout pour le jeunes, est très difficile. L’écrivain italien Alessandro Baricco a parlé à ce propos de « barbares » : les jeunes qui n’ont aucun contact (ou intérêt) à enter en rapport avec la tradition culturelle « haute », qui ne la comprennent pas et ne sont pas intéresses à la comprendre. Cela risque de créer toute une série de problèmes, surtout quand la crise impose des réductions à la dépense publique : pour commencer, comment justifier un service qui est utilisé seulement par une minorité de privilégiées ?
Parallèlement à la diffusion des réseaux sociaux, dans les dernières années on assiste à la multiplication et au succès de formes d’art social ou d’art « participatif », c’est à dire les formes d’art ou l’utilisateur (ou le spectateur) a un rôle actif dans son rapport à l’oeuvre, et il peut même avoir un rôle comme créateur, dans l’élaboration et la réalisation du projet. Naturellement ces formes de participation peuvent être utilisées pour favoriser l’accès aux différentes expériences (et consommations) culturelles.

L’Art Participatif se met en rapport avec la fragmentation de la culture actuelle de la toile, globalisé, instantané et totalement décentralisé. Dans cette culture totalement fragmentée, apprécie davantage la possibilité de (re)combiner et (re)assembler rapidement – et peut être à l’instant – nouvelles entités à partir des fragments existants.
(Gustaf Almenberg, Notes on Participatory Art, p. 16)

Augmenter la base de citoyens qui choisissent des consommations culturelles « hautes » et qui participent à des projets de création artistiques participé signifie démocratiser la culture et l’art. La grande question est si l’art et la culture – et le talent et la création – soient elles mêmes démocratiques. Dans les derniers mois, les grands chefs d’oeuvre de la peinture figurent dans les millions des « selfies » des visiteurs des musées : c’est certainement une forme de participation et de diffusion démocratique de la culture, mais les effets de ce narcissisme en masse restent probablement très superficiels.
En tout cas, les projets de la Commission Européenne « European Audiences : 2020 and beyond » pour les prochaines années vont dans la direction de la « audience development ». Le but est de saisir « les grandes opportunités culturelles », et en particulier trouver des alternatives à la culture populaire « mainstream », en grande partie anglo-américaine ; et profiter des possibilités qui s’ouvrent grâce à la « révolution digitale » (voir la déclaration de Ann Branch, Head of Unit « Culture Programme and Actions », DG Education and Culture, European Commission).

Le rideau et la toile
Communication et information d’un coté, participation et partage d’expériences de l’autre.
Dés sa naissance, le théâtre agit entre les deux. Le dispositif théâtral organise une communication verticale, et en même temps construit une communauté horizontale. Le théâtre à donc la possibilité de agir en même temps sur les deus axes, l’axe verticale et l’axe horizontale, dans le modalités de la narration et de la participation.
Par sa nature, le théâtre a une tendance à valoriser la participation du spectateur, même dans les formes originaire du cirque et de la commedia dell’arte. A partir de la moitié du Siècle XX, il a assimilé l’attitude et les techniques des happenings et de la performance. Il à multiplié les laboratoires et les séminaires (ou workshops), à partir de l’exemple de compagnies comme le Living Theatre et l’Odin Teatret. Il s’est enrichi avec le psychodrame de Moreno, le théâtre de l’opprimé de Boal, et grâce à l’utilisation des savoirs et des techniques des sciences sociales, de la pédagogie, de l’anthropologie…
La toile a déjà changé radicalement notre identité personnelle (notre masque social) et aussi l’identité du theatre comme « art du hic et nunc ». Comme le note Michel Serres :

Lorsque tous les lieu du monde ont une sorte d’équivalence, la paire « hic et nunc », « ici et maintenant » entre en crise. Quand Heidegger, philosophe lu aujourd’hui dans tout le monde, appelle « Dasein » l’existence humaine, il désigne une façon de habiter ou de penser en voie de disparition. Le concept théologique d’ubiquité – la capacité divine d’être partout – décrit nos options mieux du funèbre « Ci-gît ».
(Michel Serres, « la Repubblica », 17 Janvier 2014)

Dans les premières années du Siècle XXI, compagnies de théâtre comme Forced Entertainment-Tim Etchells, Rimini Protokoll, The Builders Association-Marianne Weems, avec beaucoup d’autres artistes qui travaillent dans la tradition de l’art participatif, nous obligent à réfléchir sur ces transformations et paradoxes, en utilisant les instruments de la scène.

Si le paysage débridé de la mediasphère de la connexion digitale domine aujourd’hui notre imaginaire social, alors la matérialité anachronique du theatre peut nous rappeler que ce monde a encore besoin d’un corps humain pour changer ces pansements.
(Shannon Jackson, Social World, p. 146)

Cet art médiatique et participative d’un coté expérimentent les nouvelles technologies et les formes de communication et d’échange créatif qu’elles permettent. De l’autre coté elles pratiquent une forme de critique de l’existant, de son ordre économique et politique, de ses mécanismes de communication. Souvent ces œuvres déconstruisent les dispositifs identitaires : identité personnelle (et donc aussi sexuelle, culturelle, sociale) et identités collectives.

Une politique théâtrale ?
Le theatre, nous l’avons déjà vu, est un dispositif qui peut entrer en contact (et en friction) avec l’ordre du réel. Mais il peut entrer en contact aussi avec d’autres médias, et surtout d’autres dispositifs sociaux : la ville, le paysage, la prison, le musée, l’école…
La démocratie en Grèce surgit de la combinaison (et de la synergie) entre le dispositif de la ville (la polis) et le dispositif théâtral.

Dans la tragédie se rencontrent la pensée mythique traditionnelle et la nouvelle rationalité, un culture populaire et une culture supérieure. On se demande si elle a eu la fonction de représenter, en utilisant le mythe, ce qui intéressait au citoyens en tant que citoyens. (…) Est-ce que la jeune démocratie a trouvé dans la tragédie le support que les premières monarchies avaient trouvé dans leurs conceptions du monde et les premières aristocraties dans la tradition et l’accès immédiat aux divinités ? La tragédie représentait peut être – comme la figure humaine dans la sculpture, comme les temples et la rhétorique – la forme esthétique spécifique sur laquelle se fondait la démocratie.
(Christian Meier, L’art politique de la tragédie grecque, p. 6)

En ce contexte, le spectateur théâtral nait comme spectateur critique : à la fin des jours de représentation, après avoir assisté au différentes lectures des mythes par le poètes-dramaturges, après avoir confronté les différentes interprétations, ils devaient voter (tout le public en Sicile, un petit groupe de représentants du peuple à Athènes). Et certainement ils discutaient vivement de tout ce qu’ils avaient vu.
La critique est autre chose qu’appuyer sur le bouton « J’aime » sur Facebook. On voit se multiplier sur la toile les opinions sur les produits culturels, et pas seulement : on juge livres et chansons, mais aussi hôtels et restaurants. En général, ces compte-rendus ont comme — l’expérience personnelle de la réception, et le plaisir (ou le déplaisir) provoqué par cette expérience. Les raisons pour lesquelles on donne un opinion sur une chanson sur iTunes ou sur un livre sur Amazon sont donc en général différentes de celles du critique : l’« expert » bâti son jugement à partir d’une compétence qui parfois devient érudition (sur les oeuvres comparables, sur l’histoire de l’art, sur le parcours du créateur…) et du goût qu’il a construit à partir de ses connaissances et de ses expériences. Le critique ne s’arrête donc pas à son plaisir immédiat, à la facilité avec laquelle on peut consommer un produit (et donc à la « costumer satisfaction »). Il est capable de apprécier et valoriser les nouveautés, même si elles ne sont pas tout à fait « faciles ».

La fin de la politique
Le théatre est le fruit d’une séparation dans le temps (la phase de la préparation du spectacle, les répétitions, la construction d’un temps « autre » qui permet de dominer le temps, ou donne l’illusion de le dominer) et dans l’espace (le plateau et la salle, les acteurs et les spectateurs) : c’est cela qui permet de fabriquer une représentation. Cette séparation produit un secret, une asymétrie cognitive entre les deux pôles de la représentation.
C’est un dispositif semblable et parallèle au dispositif qui a permis la création d’une démocratie représentative : une séparation entre celui qui vote (en secret, et donc librement) et celui que le représente, qui devrait s’annuler dans la volonté général de l’assemblé des élus.
Avant l’explosion de la toile, notre identité politique était déjà en train de changer. En 1977, Richard Sennett annonçait « la disparition de l’homme publique » (et des espaces publiques). En 1986, Jean-Luc Nancy se plaignait de « la communauté désoeuvrée ».
La catégorie du « hic et nunc » paraît se dissoudre dans l’ubiquité achronique de l’éternel présent global de la toile. Google, avec son formidable algorithme de recherche et ses très puissants ordinateurs, pratique un sondage planétaire permanent sur tous les possibles arguments (et sur la page de Google sur sa « philosophie », vous pouvez lire que son succès est la preuve du succès de la démocratie).
Si on s’interroge aujourd’hui sur le destin du théâtre et de la télévision comme on les a connu, on s’interroge en même temps sur le destin de la démocratie comme on l’a connu. On peut imaginer des nouveaux dispositifs théâtrale, une différente idée de télévision, on peut imagine un nouveau destin pour la démocratie.

Pour finir avec trois ou quatre exemples

Antony Gormley, The One and the Other (2009)

Anthony Gormley, Fourth Plinth Project

Anthony Gormley, Fourth Plinth Project

Donner la parole au gens, sur le quatrième plinthe de Trafalgar Square à Londres, pour un heure chacun, pendant dix jours : en quelque jour, Gormley a reçu 34,520 demandes pour 2400 places. Toutes les activités ont étés transmises en streaming.

Anthony Gormley, Fourth Plinth Project

Anthony Gormley, Fourth Plinth Project

Pour Gormley, The One and the Other offrait “un espace ouvert, pour donner à beaucoup de gens l’opportunité de tester leur identité personnelle et la manière pour la communiquer à un public plus large » .

Anthony Gormley, Fourth Plinth Project

Anthony Gormley, Fourth Plinth Project

Pour « The Guardian », c’était un forme de « Twitter art » : dans un univers ou tout le monde peut diffuser son image, ses activités et ses idées, une initiative comme The One and the Other ne peut pas créer une communauté, mais seulement produire un flux infini de banalités produites par des égos aplatis.

Tim Etchells et Art Hampton, The Quiet Volume (2010)

The Quiet Volume (foto Ant Hampton)

The Quiet Volume (foto Ant Hampton)

The Quiet Volume, crée par Tim Etchells et Art Hampton en 2010, met en jeu plusieurs différents dispositifs. Le premier est la bibliothèque où se déroule la performance, avec ses rituels: la lecture doit être solitaire et silencieuse – mais le silence des bibliothèques est plein de bruits qui arrivent de l’intérieur et de l’extérieur…). Le deux spectateurs reçoivent deux écouteurs et on les accompagne à leur place, dans la salle de lecture. Suivant les instructions qui arrivent via les écouteurs, ils ouvrent le livres qu’ils ont à disposition sur le banc et commencent à lire. C’est le deuxième dispositif, le livre. Grace au dispositif théâtral, le livre devient une scène, la page est maintenant un plateau, le doigt qui suit (ou conduit) le regard du lecteur sous la ligne du texte se transforme en personnage. Les instructions invitent les deux lecteurs à rompre un des tabous de la lecture en bibliothèque, la solitude: le premier lecteur indique une ligne sur le livre de l’autre lecteur, et lui impose la vitesse de lecture.

The Quiet Volume (foto Ant Hampton)

The Quiet Volume (foto Ant Hampton)

Comme beaucoup d’expériences artistiques contemporaines, The Quiet Volume à pour but d’augmenter notre connaissance des mécanismes de la communication, accroitre notre conscience des procès de la perception. Dans ce cas, il le fait en transformant le spectateur en acteur: il ne reste pas passif, mais il doit agir et accomplir les gestes qu’il lui sont ordonnés; et il devient au acteur pour le public occasionnel des autres lecteurs qui sont dans la salle, et peuvent voir les bizarres rituels de ce couple de lecteurs-acteurs qui se “entre-lisent”.

Christoph Schlingenslief, Please Love Austria (2010)

Schlingensief, Please Love Austria

Christoph Schlingensief, Please Love Austria

L’artiste et cinéaste autrichien a placé un container près du théâtre de l’Opéra de Wien. Il l’a aménagé dans le style d’un studio de « reality show » (sur le modèle de Big Brother) ; à l’intérieur, il a installé un groupe de jeunes étrangers qui avait demandé asile en Autriche et qui étaient hébergé dans un centre d’accueil loin du centre ville. Le public pouvait observer leur vie quotidienne à travers de petites fenêtres; les activités de réfugies étaient aussi diffusés par webfree.tv, une chaine vidéo sur internet. Pour six jours, chaque soir les spectateurs pouvaient voter uns des réfugiés : celui qui recevait le plus de votes était expulsés di jeu. Le dernier hôte du container gagnait une petite somme d’argent et, s’il trouvait une volontaire, il avait aussi la possibilité de devenir citoyen autrichien grâce au mariage.

L’installation avait été conçue après le succès électoral du FPO, le parti nationaliste et xénophobe qui avait pour leader Jörg Haider. La provocation de Schlingensief a partagé les spectateurs de gauche et de droite : pour beaucoup de spectateurs de droite, c’était encore de « la merde pour intellectuels », dans le style de Schlingensief ; quelque vieux militant de droite déclara que c’était une bonne méthode pour résoudre le problème ; un groupe di militants d’extrême gauche a organisé un raid pour « libérer » les réfugies… En tous cas, le projet a fait naitre un débat, sur le site de l’installation, et sur les médias.

thespace.org (à partir de 2011)

The Space

The Space

thespace.org est un site web avec vidéo soutenu en UK par Arts Council et BBC : chaque année subventionne (avec un budget de 5 millions de £) une cinquantaine de projets dans tous les domaines artistiques, en collaboration avec artistes, théâtres, musées, festivals (comme le Edinburgh Festival)… Les buts du projet sont : soutenir l’innovation dans les arts, pousser les artistes et les organisations vers la digitalisation, trouver un nouveau public pour les arts, et pour l’innovation dans les arts (selon les responsables du site, ça fonctionne).

Space collection homepage

Space collection homepage

Entre les projets liés au theatre hébergé par space.org, le « tout Shakespeare » réalisé pur les Jeux Olympiques de Londres 2012 (avec sous titres pour les spectacles en langue étrangère), et la possibilité de suivre un « mistery play » (qui se déroule sur plusieurs plateaux en même tempes) en personnalisant le point de vue.

Twitter et le theatre

Tweetseats Arena di Verona

Tweetseats Arena di Verona

Depuis quelques années, plusieurs théâtres offrent des sièges (parfois avec des billets à tarif réduit) pour les spectateurs qui accompagnent la vision du spectacle avec une activité sur les réseaux sociaux : même l’Arena de Verona, à partir de cette année. En général, les textes des spectateurs commentent ce qui se passe sur le plateau et dans la salle : on trouve naturellement des enthousiastes, mais aussi des jeunes spectateurs qui trouvent que « l’oeuvre d’art totale » n’a pas besoin d’autres distractions. En tous cas, grâce à cette activité, le public d’un spectacle (ou plus facilement d’un festival) peut se transformer dans une « communauté participé ».
On a vu, dans les dernières années, des expriment de dialogue entre la salle et le plateau, via messages sms ou Twitter etc. On a aussi vu plusieurs expériences (Tim Etchells, Rimini Protokoll) ou le spectateur recevait instructions grâce à des écouteurs. Il y a deux ans, Armando Punzo et sa Compagnia della Fortezza (un groupe qui travaille dans la prison de Volterra) a envahi la ville avec un spectacle en mouvement : les locations des différentes scènes étaient communiquées via Twitter.

Rete Critica (à partir de 2012)

Rete Critica nel carcere di Volterra

Rete Critica nel carcere di Volterra

Dans les dernières années, face à la crise des médias traditionnels, les nombreux sites de critique et d’information théâtral italiens se sont réunis dans un réseau informel (avec un vingtaine de membres). Parmi les différentes activités :
§ le Prix Rete Critica ;
§ l’organisation de congrès et colloques (La critique théâtrale entre papier et toile) ;
§ l’organisation de cours professionnels pour journalistes ;
§ campagnes de sensibilisation sur thèmes de la politique de la culture…




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