L’integrazione dell’immagine video sulla scena: l’esempio dei Motus

Una tavola rotonda sull'Ospite (in francese)

Pubblicato il 12/07/2004 / di / ateatro n. 071

TABLE-RONDE
L’INTÉGRATION DE L’IMAGE VIDÉO SUR LA SCÈNE,
L’EXEMPLE DE MOTUS

autour de la création de L’Ospite par la compagnie Motus
mardi 27 avril 2004, 17h30, Espace-Rencontre, TNB

animée par Didier Plassard, Université Rennes 2, professeur de littérature comparée et études théâtrales,
avec la participation de :
Marco Consolini, Université de Paris III, maître de conférence en études théâtrales, rédacteur pour la revue Théâtre en Bretagne,
Armando Menicacci, Université de Paris VIII, département Danse et docteur en Arts et Technologie de l’image, Laboratoire Mediadanse consacré à la danse et nouvelles technologies,
et l’équipe artistique de Motus : Enrico Casagrande, metteur en scène et traitement des sons, Daniela Nicolò, metteur en scène et traitement du texte, Simona Diacci, vidéaste.

Didier Plassard : Lorsque nous avons réfléchi au titre de cette table ronde, nous n’avons pas été très imaginatifs et nous l’avons intitulée L’Intégration de l’image vidéo sur la scène, mais peut-être ce titre est mal choisi. La question ne se pose plus en terme d’intégration de vidéo sur la scène mais nous pouvons dire que l’action théâtrale habite un environnement d’images et de sons, et que ces images et ces sons constituent le milieu à l’intérieur duquel est placée l’action théâtrale. Il ne s’agit plus de faire rentrer un peu d’images sur la scène mais plutôt de construire la scène dans un environnement continu de sons et d’images.
Le terme de video renvoie tout de suite au français ‘je vois’. Le motif du regard est très présent dans la pièce. C’est frappant de voir que les titres mêmes des spectacles montés depuis le début des années 90 par la compagnie Motus renvoient justement au thème du regard. En 1994, ils ont monté un spectacle qui s’appelait Occhio Belva (Oeil Fauve) ; en 1999, Orpheus Glance (Le Regard d’Orphée) ; en 2001, Visio Gloriosa (Vision Glorieuse).
En 1999, on leur a attribué le prix Ubu en Italie pour “la cohérence créative d’une recherche scénographique visionnaire”. Je crois que le mot de visionnaire ici peut nous amener à réfléchir. De plus, dans Twin Rooms est présent le motif même de la surveillance visuelle de l’autre au travers justement le jeu de gémellité entre la scène théâtrale et l’écran où est projetée l’image vidéo. On ne cesse, dans Twin Rooms, de se filmer surtout pour tenter de se voir.

C’est autour de ce thème du voir, du regarder, de la fonction même du regard que l’on peut ouvrir le questionnement.
Pendant la préparation du spectacle, dans un entretien réalisé par Hervé Pons, Enrico Casagrande a déclaré ceci, comme une note d’intention : “nous voulons que dans nos spectacles se dégagent des images fortes qui donnent au public la possibilité de se poser des questions sur lui-même.” Cette première affirmation renvoie à une sorte de fonction critique des images, un discours peut-être assez attendu, celui généralement de l’art contemporain, dans sa fonction de déstabilisation des représentations convenues, des jugements préconçus dans son travail justement proprement critique. Et puis, ce qui ne va pas tout à fait dans le même sens, Enrico poursuivait en disant “je cherche l’authenticité de l’image, celle qui est généreuse et qui peut faire office de miroir”. Et là, il me semblait que les intentions n’étaient plus tout à fait les mêmes, on était plutôt du côté d’une sorte de posture concialiatrice avec l’image, comme si l’image n’était plus le lieu, le moyen ‘par lequel’. Pour reprendre une formule célèbre de Didi-Huberman, on peut “inquiéter le voir” (dans Ce que nous voyons, ce qui nous regarde : “donner à voir c’est toujours inquiéter le voir”).
Dans l’usage théâtral dominant, l’image vidéo assume clairement, généralement, une fonction critique, en particulier de la place qu’occupent les images dans notre société. Elle apparaît parfois comme le lieu même de la perversion, ou peut-être comme le lieu d’un égarement, notamment sur les relations entre le réel et le virtuel. Est-ce que l’on pourrait dire, au vue d’abord du spectacle et puis ensuite de la proposition d’Enrico “je cherche l’authenticité de l’image, celle qui est généreuse et qui peut faire office de miroir”, que le travail de Motus procède d’une attitude réconciliée avec lui-même ; c’est-à-dire au sens où l’image serait devenue une nouvelle nature, comme quelque chose qui n’est plus le produit d’une machination humaine, qui n’est plus le lieu de l’artificiel mais qui est devenu comme naturalisé, comme une nouvelle matière ?

Enrico Casagrande : Pour commencer avec l’image, il est difficile pour nous de comprendre quel était le premier moment, pour ce spectacle, que nous avons choisi de travailler avec les images vidéo. Comprendre ce que l’on doit faire pour ne pas avoir une technologie ou un virtuel trop fort et mal intégré au spectacle. Ce fut la question que nous nous sommes posée à propos de Twin Rooms, puisque ce fut vraiment la première fois que nous intégrions de l’image dans le spectacle. C’est à partir de là que nous nous sommes dit combien il était vraiment important de comprendre la possibilité de ne pas avoir pas une image qui soit décor, quelque chose qui reste comme un élément scénographique (qui reste au fond) mais quelque chose qui doit nous montrer une autre face du spectacle, un autre regard de nous même dans la création. Nous avons donc mis pour la première fois des écrans sur la scène, et nous avons travaillé sur le langage, qui est peut-être plus près du cinéma que du théâtre. A partir de ce moment ce devint notre règle pour faire un théâtre qui soit proche du cinéma mais qui est aussi à la fois quelque chose qui n’est pas trop cinématographique. Je veux dire que nous travaillons sur un fil, à moitié entre le cinéma et le théâtre, entre l’art visuel et le théâtre, pour avoir un mélange. Je parle de mélange, et non de confusion, un vrai mélange entre tous les arts que nous pouvons montrer aujourd’hui. Ceci est très important pour nous : ne pas avoir de barrières qui fermeraient un art et qui le cloisonneraient dans un cadre très précis comme le théâtre.
Avec L’Ospite, ce fut plus dur car nous avons choisi un auteur qui est vraiment très difficile à prendre. Pier Paolo Pasolini nous a été très proche mais nous devons aussi le mettre de côté afin de ne pas avoir un regard masqué par toute une sorte de culture de la gauche italienne… mais avoir un regard qui peut être objectif dans l’accès au théâtre. Bien sûr, tout le monde connaît le film Théorème, cela nous positionne dans un endroit très difficile pour travailler. Mais aujourd’hui je suis content d’avoir fait ce choix, et aussi d’avoir eu la possibilité d’avoir ce mélange avec l’image. C’est une image filmée qui va vers l’intérieur du spectacle, et aussi une image triptyque que nous avons dans la scénographie.

Daniela Nicolò : Quelques mots de Théorème me viennent en mémoire, affirmation qui est reprise aussi dans le spectacle : “ce qui compte c’est ce qui est, et ce qui est c’est ce qui apparaît.” Cette affirmation très importante pour le travail que nous avons fait sur l’intégration de l’image à l’intérieur du spectacle. Dans Twin Rooms apparaissait beaucoup plus clairement le fait que l’image était un artifice, elle était mieux dissociée de la scène. Pour L’Ospite, nous avons décidé de tout séparer mais d’intégrer l’un dans l’autre le paysage intérieur et le paysage extérieur ; instaurer tous les différents niveaux et glisser de l’un à l’autre avec le maximum de fluidité possible, sans jamais marquer les passages. Opération très difficile mais que nous avons tenté dans ce spectacle. Faire disparaître le plus possible l’artifice de la technologie pour le faire apparaître dans son évidence.

Marco Consolini : Vous avez parlé de mélange, d’intégration : ceci est tout à fait juste aussi dans une perspective historique, par rapport justement à la tradition du théâtre italien qui depuis les années 80 a commencé à intégrer de manière assez massive l’image vidéo dans le théâtre. Je pense à des groupes comme Magazini Criminali, ou Falso Movimento de Mario Martone, Gaia Scienza, Studio Azzuro di Giorgio Barberio Corsetti. Mais la chose intéressante dans votre démarche, c’est qu’il ne s’agit pas d’intégrer l’image vidéo à l’intérieur du langage, d’une technique théâtrale ‘normale’, et non plus d’établir un dialogue entre l’image vidéo et le jeu de l’acteur en opposant ces deux niveaux. Là, on a la sensation que chez vous, la vidéo vient déterminer la création dramaturgique du spectacle, vient troubler le langage théâtral ; et s’impose comme une sorte de mécanisme interne inévitable. Un peu comme si le code théâtral que vous êtes en train de construire ne peut se construire qu’avec sa présence.
La vidéo est évidente mais je suis touché par le travail du son qui est aussi important. J’ai trouvé dans une ancienne interview que vous parlez d’une optique phonocentrique dans vos spectacles. On a vraiment l’impression que la construction de l’espace ne peut se faire sans une très précise partition sonore qui a autant d’importance que la présence des corps sur scène. La bande son n’est plus justement un rideau de fond de l’action théâtrale mais devient partie de la construction dramaturgique du spectacle. A propos d’Orpheus Glance vous avez dit : “Le travail d’editing sonore final fait de cut up et de mixage ardis avec l’ordinateur a beaucoup de correspondances avec le travail de montage théâtral.” Je pense que cela est tout à fait aussi valable pour ce travail. Je voudrais que vous nous en disiez plus à ce propos. Vous parlez aussi d’une sorte de siège perceptif vis à vis du spectateur…

Enrico Casagrande : D’abord je veux dire quelque chose d’un peu plus général. Pour nous, c’est très important d’avoir tous les éléments au même niveau : la scénographie, les acteurs, le son, les objets, la lumière… Toutes les choses qui font le spectacle théâtral. Il n’y pas de hiérarchie ni de centralité de l’acteur, ce qui est toujours la question du théâtre : à savoir si l’acteur est au centre de la scène ou bien si la scène, avec tous ces éléments, fait une composition où toutes les parties sont égales, avec des moments où la musique (ou un autre élément) est plus importante.
A propos de la musique : oui, je crois que le sonore est aussi important que le visuel. En même temps, à partir d’Orpheus Glance, la question n’est pas d’avoir une bande sonore, quelque chose qui accompagne le spectacle, mais c’est d’avoir la dramaturgie dans le son. Nous sommes partis d’Orpheus avec ça : Orphée est un vrai chanteur et chante beaucoup de chansons dans la mise en scène, sans être une comédie musicale. A partir de cela, la dramaturgie a du être partagée entre les mots et le son ainsi que les chansons. Nous avons alors compris l’importance d’avoir des éléments qui construisent une situation. Une porte qui s’ouvre n’est pas montrée par une image mais seulement évoquée par le son. Ceci peut donner au spectateur une suggestion plus importante et plus visuelle que s’il voit vraiment une porte qui s’ouvre. Avoir toujours des animaux partout, c’est vraiment mettre la maison scénographie d’Orphée dans un endroit fantastique, dans un endroit où il y a des animaux imaginaires. Mais il a aussi la possibilité de voir dans l’acteur si ces animaux sont vrais ou sont dans la tête d’Orphée : hallucinations sonores ou réalité ?
Toutes ces suggestions que nous donnons au public vont être très importantes pour avoir une construction créée par les différents niveaux. Nous avons toujours construit un spectacle non seulement avec une idée très forte, qui serait le concept final que nous montrons, mais aussi par une construction très légère de différents niveaux par lesquels nous sommes passés. C’est comme une peinture : il y a une première couche, une seconde, une troisième… et finalement pour Orphée, nous avons vraiment une épaisseur très importante, très forte, on ne peut pas voir les premières couches de peinture, mais en écoutant on peut sentir toute l’épaisseur de la peinture. La dernière couche pourrait être noire mais peu-être que la première était blanche… On ne peut pas voir tous les passages mais on peut sentir la force et la puissance d’avoir fait quelque chose avec plusieurs strates.
A propos du son de L’Ospite, je crois que le mélange que nous avons fait est très important. C’était déjà le cas pour Twin Rooms. Avoir des petits morceaux du film. Le seul élément que nous donnons du film Théorème, ce n’est pas une image mais c’est du son. Il n’y a rien qui serait pareil au film. C’est toujours quelque chose qui peut rappeler une situation qu’il y a dans le film mais ce n’est pas la même situation. Par contre, nous avons extrait du son directement du film, mais du son, et nous l’avons mis comme fond sonore dans différentes situations. Il y a alors un contraste : on écoute un son cinématographique. Le silence qu’il y a dans le cinéma est un silence qui fait du bruit, et en même temps on regarde des affaires qui sont dans le fond et qui montrent la théâtralité d’une situation, ainsi que la fiction d’une situation. C’est toujours la question de regarder quelque chose qui n’est pas vrai, c’est une mise en scène théâtrale ; et en même temps, il y a des éléments qui sont presque pareils à la réalité. C’est donc pour public avoir le regard qui cherche : où sommes-nous ? Nous sommes dans la réalité, dans quelque chose qui va travailler avec le film ou non… C’est une question que le public peut se demander.
Avec cette bande son différente du film, nous avons mis des extraits du Requiem de Mozart. Pasolini avait aussi choisi le Requiem pour Théorème, mais nous n’avons pas pris les mêmes extraits. Ce sont des petits morceaux, une répétition de la dernière phrase musicale, comme si quelque chose devait partir, le Requiem, mais sans jamais y arriver. Tout ça avec aussi d’autres éléments : du piano, beaucoup de musiques un peu tragiques. Pour arriver à la dernière partie du spectacle où il y a un énorme mélange de son : c’est l’Histoire. Ce sont tous des morceaux de l’histoire italienne, pour ce qui est de plus compréhensible, mais il y a aussi la guerilla à Cordoue, des voix africaines, des voix sud-africaines… Mélange comme un coup de poing, où il n’y a pas la possibilité de tout écouter. C’est la voix du monde ; surtout aujourd’hui, il n’y a pas la possibilité d’écouter tout le monde, tout ce qui se passe, tout en sachant qu’il y a vraiment énormément de cris partout, partagés entre l’Afrique, l’Amérique, l’Europe, ne parlons pas de l’Orient où là-bas, c’est toujours un cri. Nous avons voulu donner quelque chose qui n’est pas possible de comprendre. Nous non plus nous n’avons pas la possibilité de comprendre les sons. Nous avons travaillé avec un ordinateur auquel sont intégrées vingt-quatre pistes simultanées.

Didier Plassard : Est-ce qu’il y a un travail de composition en direct, pendant la représentation, ou est-ce que le réglage de ces vingt-quatre pistes est entièrement calé avant le début de la représentation?

Enrico Casagrande : Non, nous travaillons encore aujourd’hui pendant la représentation, de plus nous avons un nouveau système qui permet de faire tourner le son. C’est différent tous les jours, nous travaillons avec les ordinateurs, c’est une exécution en direct.
Toutes les choses que nous avons montées, changées, nous les avons faites ensemble. Ce n’est pas du son réalisé au préalable. Chaque élément est monté ensemble avec les autres, comme un tout. C’est parfois difficile…

Armando Menicacci : Pour reprendre ce que Didier disait en introduction, un des thèmes des manières d’aborder le spectacle serait se voir, qui est aussi présent dans les titres de vos travaux, et puis complété par la belle citation de Didi-Huberman, sur cette idée d’inquiéter le voir, au contraire, de le distorde, de problématiser l’acte de regarder, et donc du théâtre aussi comme lieu du regard chez le spectateur. Mais ce qui m’intéresse aussi c’est l’interprète. Si voir c’est toucher (pour continuer avec les mots de Merleau-Ponty), comment entendez-vous ce travail d’intégration ou de désintégration des médias pour toucher la corporalité de l’interprète. Comment travaillez-vous la présence scénique au travers de ces médias. Si l’on voit, comme le disait Marco, que cette intégration n’est pas un dialogue entre image et jeu mais que l’image et le son sont des mécanismes du texte (sont un contexte qui devient presque du texte), comment ce travail touche-t-il au jeu de l’acteur ?

Daniela Nicolò : Enrico, d’abord, parlait du son, et le son est très étroitement lié à l’espace. Particulièrement dans ce travail, le son connote l’espace. Dans la mesure où nous avons décidé de travailler sur un espace vide, c’est essentiellement à partir du son que pouvait s’élaborer justement et se connoter ce type d’espace. Dans ce contexte, la présence corporelle de l’acteur acquiert une place très importante et une place qui est aussi risquée puisqu’il est difficile pour lui d’être avec ce corps au milieu d’un espace construit avec du son et des images.
C’est ainsi que s’est ouvert un nouveau parcours dans le travail sur l'”être sur scène” de l’acteur, que nous n’avions jamais affronté auparavant. Cet espace de vide a demandé un nouvel axe pour occuper le plateau. Ceci a été presque difficile pour les acteurs. On a travaillé d’abord en donnant des indications très précises qui sont les données du roman : suite de données, qui donnaient lieu à des actions, à des mouvements presque géométriques mais demandant aux acteurs de se vider complètement leur être, de tout ce qui pouvait être représentation, plutôt essayer d’occuper un temps. Ceci a été très difficile : c’est plus difficile de ne pas faire que de faire.
Nous cherchions cet équilibre très étrange entre décrire, représenter un personnage, et en même temps, devenir à certains moments décor, objets qui se confondent avec le paysage.

Emanuela Villagrossi (Lucia) : On ne se sent pas que décor mais on tend à le devenir. Ce n’est pas un constat, c’est un point de départ du travail. Mais pour moi, c’était tout à fait nécessaire pour représenter une femme bourgeoise. La difficulté c’est d’avoir toujours présent à l’esprit ce que tu dois décrire et en même temps communiquer. Il ne s’agit pas d’un théorème mathématique où tu donnes des données et auxquelles tu as des résultats. Tu as un chemin à accomplir en vivant et à la fin le résultat doit être quelque chose de très clair, pas psychologique, mais analytique.

Daniela Nicolò : c’est exactement la phrase que nous avons choisie au début du spectacle, de Pétrole : “chaque personnage ne doit qu’être et agir”, pas de psychologie.

Enrico Casagrande : C’est une question assez importante. Il y a toujours à faire avec les autres comédiens, qui pensent et doivent trouver un chemin dans le personnage. Pour nous, il n’y a pas de psychologie. Nous avons une école très forte chez nous, c’est-à-dire notre maison de théâtre qu’est Motus, marquée par la présence de Samuel Beckett, dans notre réflexion, dans notre mentalité théâtrale. Beckett, surtout dans ses derniers écrits, nous a aidé sur la question de la simple présence des corps, ne pas avoir de la psychologie mais du mouvement. Je pense à Sans, Le Dépeupleur, ou Quoi où, des écritures que j’appelle blanc, qui sont des écritures de la fin de sa vie. Ces études ont été très importantes, elles nous ont aidées, pour ce spectacle, à comprendre la présence et non la psychologie des acteurs.

Didier Plassard : Oui, c’est l’idée aussi de ce qui est affirmé dans le roman de Pier Paolo Pasolini, que vous avez repris : c’est un rapport. Il faut assister à ce spectacle comme si c’était le rapport scientifique après une expérience, modèle venu des sciences expérimentales.
Je reviendrais bien sur une question qui a été soulevée par Enrico tout à l’heure, qui était la question de la compréhension. Enrico disait : dans le monde d’aujourd’hui, il y a tant de bruit qu’on ne peut pas tout entendre, tout comprendre. Effectivement il y a des moments, en particulier le moment du grand chaos final, où la saturation des informations fait que l’on est dans l’incompréhension. Mais il y a parfois aussi plutôt quelque chose qui serait comme une différence de compréhension, selon les spectateurs. Je repensais au dispositif du théâtre d’ombre dans les pays hispaniques où traditionnellement il y avait, du côté où on ne voyait que les ombres – du côté habituel du théâtre d’ombre – les femmes, et du côté où l’on voyait les manipulateurs et les silhouettes réelles, donc la réalité, les hommes. Ce regard différent sur l’illusion et la réalité selon le sexe est assez amusant. Dans L’Ospite, le regard diffère surtout à partir de la langue. Nous n’avons pas ici très souvent une traduction en surtitrage de ce qui est dit sur scène. Ce sont parfois d’autres informations, notamment l’entrée en scène des différents personnages. Ce qui apparaît à l’écran en texte imprimé est pour chacun des personnages les quelques lignes que consacre Pasolini en guise de présentation dans son roman. Le spectateur lit en français le texte de Pasolini décrivant le personnage ; et celui qui comprend l’italien, entend le point de vue de l’acteur dans un entretien qui a été enregistré, sur le personnage qu’il doit incarner. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de l’histoire de ce choix, de ces possibles retournements. Comment feriez-vous par exemple pour une tournée en Italie ?

Enrico Casagrande : Les premières choses que nous avons pensées pour ce spectacle, c’est que se doit être un spectacle écrit. Nous avons pensé au roman Théorème et non pas au film.
Nous avons inséré des extraits du livre traduit mais aussi des dialogues que nous avons inventés, comme le repas familial. Avoir des voix aussi difficiles et aussi différentes, pouvoir les montrer est encore un petit mystère de ce spectacle. Je pense que le spectateur étranger doit vraiment lire beaucoup. En Italie, nous avons seulement un niveau, le niveau de l’écriture de Pasolini car tous les autres sont parfaitement compréhensibles pour le spectateur. Ce sera sûrement différent d’ici.

Marco Consolini : J’ai été très touché par ce début de spectacle avec le décalage entre les textes de Pasolini et les interventions des acteurs qui parlent d’eux-mêmes, de leur propre corps-à-corps avec ces personnages sans psychologie. C’est très réussi du point de vue spectaculaire. Mais aussi tout le dispositif des surtitres a une pluralité d’usage, il me semble : il y a la traduction, la description de ce qui se passe, le commentaire et bien sûr l’insertion de texte…

Didier Plassard : Il y a la légende aussi, comme on voit près d’une image, petit papillon pour nous dire de quoi il s’agit : explication des bandes sonores sur les manifestations. Les titres des chapitres du roman sont parfois repris.

Marco Consolini : Il y a donc une pluralité de sens. Je souriais car étant italien de langue, je suis entré en me disant que j’allais voir le spectacle sans problème sans me préoccuper de lire les surtitres. Je me suis vite rendu compte que j’allais perdre quelque chose. C’est assez étonnant de voir encore un autre niveau qui s’ajoute.
A propos de tous ces niveaux qui se superposent, je reviens à la question du son. Le son, ce paysage sonore dont vous parlez, est très évident. A un moment donné, il y a un pic qui va au-dessus des lignes : les références historiques à des évènements qui pourraient ne pas trop parler à un public français, mais qui saute aux yeux ou plutôt aux oreilles du public italien. Ce sont des attentats : Bologne en 1980 , attentat le plus meurtrier de l’histoire stragiste en Italie ; Brescia en 1974 , enregistrement très connu de l’explosion de la bombe qui a explosé sur le lieu d’un meeting politique qui commémorait lui-même des attentats…

Enrico Casagrande : C’est pour nous un choix très important que cette partie. Ce sont toutes les voix du monde et la voix la plus près de nous, c’est l’histoire de l’Italie, où il y a eu des années très dures. Ce sont les années où Pasolini a perdu l’espérance d’avoir la possibilité d’un pays ouvert, un pays qui ne va pas à la dérive comme aujourd’hui.
Nous avons beaucoup travaillé à partir de la littérature américaine ou étrangère. Puis, nous avons choisi de faire une création en France, ici, et nous avons choisi de faire quelque chose de très italien. C’est très important de parler de l’Italie aujourd’hui. Il n’y a pas seulement des problèmes, je crois qu’il y a un petit régime… mais ça c’est mon idée… L’histoire contemporaine italienne débute vraiment avec les années 70. C’est à ce moment que Pasolini écrit Le Poème des massacres dans lequel il répète : “je sais, mais je n’ai pas les preuves”. Toutes ces bombes que nous avons mises dans le spectacle, tout ce bruit très fort, sont toutes des situations où on connaît les coupables : l’Etat avec la CIA, la Droite. Nous savons pour Piazza Fontana , tout le monde sait quels sont les auteurs. Mais l’histoire a continué. Aujourd’hui nous sommes encore au même endroit politique qui a fait autant de choses, qui aujourd’hui a changé de chemise, mais c’est toujours la même. Nous avons donc voulu prendre ce moment historique italien aussi parce que ce fut le dernier moment de la vie de Pasolini. Et aujourd’hui nous avons presque oublié que tout ce qui s’est passé, alors nous devons le rappeler.

Didier Plassard : Du côté des transformations dramaturgiques par rapport au roman et par rapport au film, quelque chose qui m’a beaucoup frappé et que j’ai trouvé particulièrement réussi, c’est le traitement du thème du ciel. Au début du spectacle, au-dessus du triptyque, il n’y a que du noir, un noir extrêmement présent. A l’image projetée en vidéo, le ciel est généralement de la même couleur que le sol, très gris, avec un effacement de la ligne d’horizon. Beaucoup de plans n’ont pas du tout de ciel, sans horizon, avec seulement le sol. En revoyant le film de Pasolini, j’avais le souvenir de plusieurs plans où le ciel était bien apparent. Quand Paolo marche sur l’Etna, on voit très clairement la séparation du sol et du ciel, on voit l’ombre des nuages qui coure sur le sol, c’est extrêmement beau. Il y a une réelle présence du ciel dans le film. Chez vous, non seulement il n’est pas là mais le messager du ciel a disparu (le personnage extraordinaire qu’incarne Ninetto d’Avoli), cet ange qui fait le lien entre la terre et le ciel. Dans le dialogue que vous avez rajouté, c’est-à-dire à table, la question posée à la servante reprend cette thématique : “de quelle couleur est le ciel ?”.
Est-ce que c’est la dimension religieuse que vous avez voulu couper : la religiosité diffuse qui est encore très fortement dans le film de Pasolini, vous avez voulu dire aujourd’hui en 2004, elle n’existe plus du tout, ce ciel est noir et muet, ou bien que se jouait-il par là ?

Daniela Nicolò : C’est une très belle question. C’est très évident l’absence absolue du ciel dans l’espace artificiel que nous avons créé. Mais tout de même le ciel est présent dans l’affiche, dans ce spectacle, où nous avons cherché des espaces extérieurs, l’extérieur est encore plus à l’extérieur.
Toute l’histoire de Théorème se passe dans le jardin, c’est-à-dire à l’extérieur ; mais nous avons rendu évident aussi l’artifice que cela est un rideau de fond, quelque chose de faux. Il nous plait aussi que cette maison se lève un peu comme dans les vieux théâtres où il y avait les toiles peintes. Ce qui est vrai par contre, c’est la sortie de la villa. Les routes avec les peupliers de la plaine du Pô où il n’y a pas de ciel mais le brouillard. Il y a aussi beaucoup d’images de banlieue, mais en nocturne. Le seul endroit où nous voulions qu’apparaisse la ligne d’horizon avec le ciel, est le désert de Tunisie, images qui viennent à la fin du spectacle.

Enrico Casagrande : La question est très importante, et je dois y réfléchir, car je n’ai pas de réponse immédiate.
Il y a un ciel très important dans le spectacle : c’est la scène de l’orage. Là, le ciel, avec les coups du tonnerre, marque le passage où chacun va se confesser à l’hôte mais aussi au spectateur. A ce moment, un ciel frappe, ce serait le moment de liaison avec la religion. La seule liaison très forte avec la religion, c’est comme le destin de dieu. C’est comme si la voix de dieu arrive avec la voix de tous les acteurs, et on mélange les deux sons. C’est donc un dialogue entre les acteurs avec le dieu qui est parti. La religion est une question très importante pour Pasolini. Nous ne croyons pas à un dieu, nous n’avons de religion avec nous très forte, mais nous avons un esprit peut-être un peu religieux…

Daniela Nicolò : Pasolini aussi n’a jamais cru vraiment, mais il a toujours cherché.

Armando Menicacci : J’ai aussi remarqué cette absence du ciel, mais je voyais constamment la recherche d’un ciel intérieur. Chaque personnage cherche son bonheur, cherche sa voix. C’est vrai que si je voyais la dimension du religieux gommée, ce n’est pas pour autant que je voyais gommée la dimension du sacré. Comme c’est un sacré au-delà du religieux, ce n’est pas le ciel comme lieu symbolique. Je me souviens toujours de la phrase de Gagarine qui disait en revenant “j’ai volé dans le ciel et je n’ai pas vu dieu”, je ne sais pas si dieu est dans ce ciel là, c’est-à-dire dans la fine couche autour de la terre. Dans Notre Père qui êtes aux cieux, la chose la plus importante ce n’est pas qu’il est dans les cieux, quelque part de lointain, inaccessible, indescriptible, mais c’est le NOTRE père, c’est cette dimension de quelqu’un qui cesse de dire moi et qui commence à dire nous, qui reconnaît une racine commune, qui fait que l’on s’engage aussi poétiquement. Il me semble que votre religiosité diffuse vient de cette religion laïque du fait de se considérer un nous. C’est pour cela que l’on s’engage, chacun cultive son petit jardin. C’est quand on commence à dire “nous”, qu’il y a une religiosité, que l’on doit une attention au sacré, qui est présente dans tous les personnages. Chacun cherche son bonheur et est capable de se remettre en question au point de faire sa propre traversée du désert. Chacun tombe dans son désert : il y a en a une qui s’envole, l’autre qui tombe en sorte d’épilepsie globale, l’autre qui va dans le désert…
Cette dimension du sacré au-delà du religieux, en tant que différentes narrations du sacré, était très claire.

questions de la salle:

Dans la partie finale, le déroulement des images va de la scène vers les spectateurs. Je voulais savoir si c’était vraiment un don de l’histoire ? C’est un appel fort aux spectateurs. En général dans le spectacle, l’image va vers le fond et est bien arrêtée. Cela signifirait-il alors le renversement ?

Enrico Casagrande : Ces images sont aussi tirées de l’histoire italienne. Mais il y a aussi une explication très technique. Quand il n’y a pas d’écran, l’image se renverse, se projette sur le sol, elle va ainsi vers le spectateur. Cela est venu tout seul. Nous pouvons de tout de façon faire des changements, nous avons choisi de ne pas le faire, même si nous n’avons pas choisi de le faire de manière volontaire.
Je profite de cette occasion pour dire que dans le travail théâtral, comme dans tout travail, il y a toujours une place pour l’accident. On peut découvrir quelque chose d

Didier_Plassard

2004-07-12T00:00:00




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